La culture américaine s'est importée partout dans le monde. Mais la jeunesse chinoise semble désormais lui tourner le dos. Décryptage du phénomène.
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La culture chinoise revient en force
Les citoyens nés dans les années 1970 et 1980 ont le souvenir d’avoir admiré l’individualisme et les libertés démocratiques des États-Unis, mais les générations modernes sont devenues de plus en plus apathiques, voire négatives, à l’égard du système politique des États-Unis et de sa démocratie, dans un contexte de concurrence géopolitique accrue entre Pékin et Washington.
Qu’il s’agisse du changement dans les industries de la publicité, de la mode ou du divertissement en Chine, les millennials nés entre 1995 et 2010 et la génération Z née entre 1980 et 1995 en Chine sont moins enclins à préférer la culture, les produits et les valeurs américains que la génération X née entre 1961 et 1980.
La jeune génération chinoise valorise davantage le patriotisme, la recherche de l’individualité et la fierté du développement rapide de la Chine.
Pour Liu Xin, directrice créatif d’une grande agence de publicité. « En général, les jeunes consommateurs n’admirent plus la culture et la mode américaine, par rapport à ceux nés dans les années 70 et 80, ce qui constitue un changement assez important »
« De nos jours, indépendamment du design du produits ou des stratégies marketing et publicitaires, les produits et les marques chinoises et orientales sont plébiscités par les jeunes chinois. Les créatifs étrangers comprennent de moins en moins le goût des consommateurs chinois. Entre le second semestre 2018 et 2019, la plupart de nos collègues étrangers ont dû plier bagages, les uns après les autres » précise t-elle.
Cette situation contraste fortement avec les années 2000 et le début des années 2010, lorsque les publicités (et au travers d’elles, les valeurs de la culture américaine) étaient très populaires auprès des consommateurs chinois.
« Après l’adhésion de la Chine à l’OMC, un grand nombre d’agences de publicité internationales ont créé des succursales chinoises. À cette époque, lorsque nous nous sommes lancés, nous pensions tous que les idées les plus merveilleuses se trouvaient dans la publicité américaine et que les meilleures agences de publicité avaient leur siège aux États-Unis », Liu continue en argumentant, pour elle, « Les publicités de McDonald’s ou de Coca-Cola étaient connues de tous les passants »
« Aujourd’hui les choses ont changées, la créativité reflétant l’esprit d’innovation de la Chine ou la fierté d’être un grand pays est devenue le point de rupture le plus important pour remporter un contrat. En un mot, plus aucune agence de publicité ne serait assez stupide pour mettre en avant des éléments culturels américains. » (sic)
Cela est dû en partie, concède-t-elle, à des orientations délibérées des autorités ces dernières années, comme un mouvement contre les valeurs et les festivals occidentaux.
« En fait, vous pouvez en voir les indices de ce changement dans la stratégie de communication de Nike, qui a progressivement affaibli son image de marque américaine sur le marché chinois, en promouvant plutôt leurs produits sur le marché chinois en utilisant des leaders d’opinion clés nationaux et des concepts culturels localisés. »
Les blockbusters américains ne séduisent plus
Autre fait très intéressant, les films importés, représentés par Hollywood, sont également tombés en disgrâce sur le marché chinois.
Après la sortie du premier blockbuster hollywoodien en Chine en 1994 (dix blockbusters étrangers par an ont pu être diffusés à compter de cette date) , le public chinois a toujours manifesté son soutien au box-office.
En 1998, les ventes de billets pour Titanic ont représenté 25 % des recettes totales du box-office chinois cette année-là, et jusqu’en 2013, les trois premiers films de l’histoire du box-office chinois étaient tous des productions hollywoodiennes : Avatar, Transformers : Dark of the Moon et Titanic.
Mais en 2018, l’attrait des films hollywoodiens a commencé à s’estomper après que les autorités ont exigé que le nombre d’heures de projection des films chinois chaque année ne soit pas inférieur aux deux tiers du nombre total d’heures de tous les films projetés.
Cette année-là, les recettes totales du box-office chinois ont augmenté pour atteindre 60,68 milliards de yuans (9,3 milliards de dollars), mais les recettes du box-office des films importés, qui étaient pour la plupart des productions hollywoodiennes, ont chuté de 10,5 %.
L’année dernière, pour la première fois, les 10 films les plus vus en Chine étaient tous chinois, tandis que la proportion des ventes de billets pour les films importés est tombée à seulement 16,28 %, poursuivant la baisse constante de 35,9 % en 2019 et 53,4 % en 2012.
Les trois plus gros succès de l’année dernière sont trois films patriotiques My People, My Homeland et The Eight Hundred qui rapporté respectivement 3,1 milliards de yuans (477 millions de dollars), 2,8 milliards de yuans et 1,6 milliard de yuans.
En comparaison, Tenet de Christopher Nolan de et le controversé Wonder Woman 1984 n’ont respectivement rapporté que 450 millions de yuans (69 millions de dollars) et 160 millions de yuans, tous deux bien en deçà des attentes.
« En outre, l’industrie chinoise du divertissement, tant sur le plan technique que financier, est déjà arrivée à maturité, avec un grand nombre de films de science-fiction et d’animation nationaux qui peuvent satisfaire les demandes de divertissement du public chinois. »
Pour bien appréhender le concept, je vous conseille The Wandering Earth, une sorte d’Indépendance Day où se sont les chinois qui jouent un rôle central dans le sauvetage de la terre. Plutôt déconcertant, tellement nous sommes habitués à voir des américains à la place.
Un modèle chinois qui retrouve de sa splendeur
Selon un rapport d’Orient Securities en 2019, la philosophie économique, de consommation et d’éducation de la génération Z diffère des générations précédentes, avec trois caractéristiques principales :
- Les « Little Pink » cette génération enthousiasmée par le zèle et les élans patriotiques
- La recherche d’individualité et le besoin de se démarquer
- Une forte attraction pour les idoles et les icônes nationales
« Mes amis qui suivent des influenceurs japonaises, coréennes et chinoises sont devenus la norme, tandis que quelqu’un qui préfèrera la musique pop américaine sont de plus en plus à la marge. Quelques uns parlent encore de la NBA ou des émissions TV américaines au bureau, mais nous aimons TOUS les jeux en ligne et mobiles chinois », a déclaré Zheng Yuetong, un vendeur de Shenzhen âgé d’une vingtaine d’années.
« Il y a déjà une grosse offre de culture pop chinoise que nous pouvons apprécier, alors pourquoi se donner la peine d’apprendre la culture américaine ou occidentale ? Au contraire, si quelqu’un dit au bureau que l’Amérique est plus libérale et démocratique, je suis sûr qu’il sera malmené et fustigé par tout le monde. »
Depuis 2018, un certain nombre de marques étrangères de fast-fashion, dont Forever 21 et Old Navy, se sont retirées du marché chinois, tandis qu’Esprite, Bershka, Pull&Bear et Stradivirus ont également fermé tous leurs magasins en Chine, et Gap envisage de vendre ses activités en Chine.
McDonald’s, KFC, Starbucks et Haagen-Dazs ne sont plus des marques à la mode aux yeux des consommateurs chinois, qui se tournent plutôt vers de nouvelles startups foodtech.
Dans un rapport du Pew Research Centre en 2012, 73 % des personnes interrogées en Chine ont exprimé leur admiration pour les avancées technologiques et scientifiques américaines et plus de la moitié des personnes interrogées ont une bonne opinion sur les idées américaines en matière de démocratie.
En revanche, une enquête menée par la Fondation Eurasia Group l’année dernière a montré que 28 % des personnes interrogées en Chine ont déclaré avoir une opinion défavorable des États-Unis, contre 17 % un an plus tôt, tandis que le nombre de personnes déclarant avoir une opinion favorable est tombé à 39 %, contre 58 %.
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