Boris Pastor, 41 ans, a inventé une solution logicielle pour réguler le chauffage des bâtiments collectifs. Généralement, les collèges, lycées et bureaux pros sont chauffés de 8h à 18h, non stop, dans la totalité du bâtiment. Or un tiers du temps les salles sont inoccupées (emploi du temps, télétravail, etc.) et le chauffage pourrait donc être baissé. Grâce à un logiciel qui se connecte automatiquement aux agendas, Inyus optimise le chauffage en fonction de l’usage. Les premiers bâtiments équipés dans les Vosges affichent 15% d’économies d’énergie. Une belle réussite pour ce vosgien, revenu de l’enfer des violences intrafamiliales.
Avec ses grands yeux clairs, sa barbe foisonnante et ses larges épaules, Boris Pastor affiche quelque chose d’à la fois rassurant et d’un peu bourru. Il a toujours un sourire au coin des lèvres mais laisse rarement les paroles les franchir. Pudique il l’est, au moins autant qu’humble. Néanmoins l’audace et la ténacité ne lui ont pas fait défaut pour développer avec son associé une solution pour mieux maîtriser les dépenses énergétiques.
Des bâtiments chauffés... vides !
Le chauffagiste vosgien s’était lancé dans des audits de bâtiments tertiaires, notamment pour des bailleurs sociaux et des lycées. A sa grande surprise, les dépenses énergétiques étaient loin d’être maîtrisées. Dans ces gigantesques bâtiments collectifs, les anciens systèmes de chauffage ne permettent en effet pas de régler la température du chauffage, de façon automatique, pièce par pièce. Conclusion : de 8h à 18h, tout le bâtiment est chauffé dans sa totalité, même les salles inoccupées. Soit les utilisateurs laissent les chauffages allumés même quand ils ne sont pas là, soit le système lui-même ne permettait pas d’y toucher individuellement. Pour peu que ces bâtiments soient vieux et peu performants énergétiquement et c’était le drame du gaspillage.
Après une enquête, Boris Pastor s’est aperçu que dans certains établissements scolaires, le taux d’occupation est de seulement 70%. Autrement dit, un tiers du temps des salles sont vides. Il a donc cherché un système pour piloter les chauffages salle par salle, à distance, en fonction de leur utilisation réelle.
Comment ? En utilisant un système connu, les têtes thermostatiques installées en domotique pour piloter un radiateur à distance et un système nouveau, un logiciel qu’il a créé et qui se connecte aux agendas des établissements scolaires. Ces derniers sont particulièrement bien tenus à jour car, comme les élèves sont mineurs, il faut savoir en temps réel où ils se trouvent en cas d’incident. Le système fonctionne également pour des bureaux, par exemple avec le mot clé « télétravail » rentré dans l’agenda.
Un premier lycée spinalien a installé le système Inyus il y a plus d’un an, permettant d’améliorer le produit mais aussi d’avoir des datas sur les économies réalisées. Le résultat est bluffant : 15% à 20% d’économies d’énergie. Une dizaine d’autres bâtiments sont en cours d’installation, une demande en hausse en raison de la crise énergétique. A aucun moment le système de pilotage ne « coupe » le chauffage, car l’énergie nécessaire pour remonter ensuite à 18° voire 19° serait potentiellement plus grande.
Mis à la porte de chez lui à 18 ans
Rien ne prédestinait pourtant le chef d’entreprise à cette aventure, mais il a semble-t-il pris en main son destin. Né à Epinal, il a grandi à Charmes (Vosges), dans une famille nombreuse et recomposée. Ses parents se séparent et entre alors entrer dans sa vie un homme qui va profondément la bouleverser, pour le pire. « Mon beau-père était terrible, menaçant. A 18 ans, il m’a foutu dehors », raconte Boris, qui a vécu dans la rue.
Il part à Châlons-en-Champagne et s’engage à 19 ans dans l’armée, dans le même régiment qu’un de ses frères. « Il faisait quelques conneries, ce n’était pas simple de passer après lui…. », explique-t-il, frustré de n’avoir pu passer son permis B là-bas. Pendant ses week-ends de permanence, il n’a aucun « chez lui » où rentrer et suit ses amis du côté d’Angers. Il rencontre sa première compagne là-bas, quitte l’armée et s’installe dans l’ouest de la France.
Mais en repassant dans le civil, il connaît la même difficulté que nombre de militaires : retrouver un emploi. Pas question pour le jeune vosgien de s’arrêter là. « J’ai pris tous les petits boulot, quitte à nettoyer les parkings des supermarchés et ranger les chariots. Des agences d’intérim m’ont fait confiance, je suis rentré à l’usine. J’ai commencé par câbler les ascenseurs », se souvient-il. De fil en aiguille, il devient technicien de maintenance. En deux semaines, il passe son permis pour obtenir le job. Lui qui n’avait pas le bac réalise une validation des acquis d’expérience (VAE) avec un niveau Bac Pro. L’ascenseur social semble lui aussi avoir fonctionné, mais le passé va malheureusement le rattraper.
Dans l'enfer de la violence
L’aventure angevine se termine en 2010, lorsque Boris rencontre sa nouvelle compagne, elle aussi originaire des Vosges. Il revient alors du côté des montagnes mais déchante rapidement. D’abord professionnellement, car la région compte plus de maisons individuelles que d’immeubles, ce qui est peu propice à l’installation et l’entretien d’ascenseurs.
Mais la véritable tragédie va se jouer dans sa maison familiale, en 2011. Un après-midi, son petit frère et sa petite sœur rentrent de l’école et trouvent porte close. A l’intérieur, un drame ineffable vient de se produire : sous le coup de la colère, le beau-père de Boris a tué sa mère, tentant ensuite de mettre lui-même fin à ses jours. Un acte qu’il réitérera, cette fois-ci avec succès, après son jugement lors de sa détention en prison. « Ma petite sœur est handicapée; aujourd’hui elle n’a plus de père ni de mère », s’inquiète Boris.
Le courage qu’il a su mobiliser pour dépasser cette épreuve reste indescriptible. A la suite de cet événement, sa compagne et lui partent en Suisse et le spinalien va se retrouver là encore dans une situation professionnelle pour le moins atypique. « J’ai travaillé dans une fonderie d’or pendant un an. Je faisais des cadres, des bracelets de montre en or. La première fois que je suis rentré dans le coffre j’étais époustouflé, je me suis retrouvé avec 80K dans la main », s’émerveille-t-il encore.
«J'ai trouvé des métiers pour lesquels je me suis passionné, ça aide à devenir plus compétent.»
Pour sa compagne, proche de sa famille, l’éloignement géographique s’avère difficile et le couple revient à Thaon-les-Vosges. Ils fondent leur propre famille, avec leur fils Maël qui a aujourd’hui 10 ans. Pour retrouver du travail, Boris se forme une nouvelle fois, grâce au Greta, en tant que technicien en efficacité énergétique. Il complète avec une formation de manager de l’énergie pour gérer les flux des bâtiments en usine ou en collectivité (niveau BTS). « La formation adulte offre des opportunités incroyables. Je n’aurais jamais pu m’en sortir ailleurs qu’en France. On ne se rend pas compte de la chance que nous avons », insiste-t-il.
C’est d’ailleurs cette même formation qui lui a permis de réaliser les audits énergétiques à l’origine de son idée de startup. Aujourd’hui, l’entrepreneur veut lui aussi apporter sa pierre à l’édifice : réduire les factures, protéger les ressources naturelles et créer des emplois dans sa région natale. Un projet pour lequel lui n’a réalisé aucune économie d’énergie.