Au commencement était le Web1...
Lorsque le grand public découvre internet dans les années 90, il surfe sur le Web1. Ce terme apparu à postériori désigne l’époque où on se rend sur le web de façon passive, principalement pour consulter ce qui apparaissait sur quelques sites en ligne. Les interactions sont très limitées avec le contenu, et les échanges se déroulent uniquement du côté des forums de connaisseurs ou des chats en ligne.
Le Web2 (également appelé Web 2.0) est apparu au début des années 2000 lorsque les internautes ont commencé à pouvoir proposer leur propre contenu via des blogs, des wikis, des sites de partage de photos ou de vidéos (comme YouTube) ou des podcasts. Cette nouvelle forme d’interaction a évidemment pris beaucoup d’ampleur avec l’apparition des réseaux sociaux, notamment MySpace qui a ouvert la voie à Facebook et Twitter, pour ne citer qu’eux.
Aujourd’hui nous sommes toujours à l’ère du Web2, et les réseaux sociaux ont pris une place prépondérante dans nos vies et le fonctionnement de nos sociétés. Mais le monde des nouvelles technologies est toujours en mouvement, et les entrepreneurs du web se demandent forcément de quoi sera fait le futur afin de pouvoir s’y positionner le plus rapidement possible.
Mark Zuckerberg rêve de Metaverse
Suite à une forte croissance pendant la crise sanitaire de 2020-2021, le groupe Facebook passe de 48 268 employés en mars 2020 à plus de 87 000 employés en septembre 2022, et se renomme Meta le 28 octobre 2021. Ce changement traduit la nouvelle stratégie du groupe (et surtout de son dirigeant Mark Zuckerberg) : le Metaverse sera le futur du web !
Définir ce qu’est le Metaverse n’est pas chose aisée, car on a tendance à le confondre avec de simples univers virtuels comme le jeu Second Life qui a connu son heure de gloire entre 2003 et 2007. Le projet de Zuckerberg est bien plus immersif, et il est censé proposer des applications concrètes dans de nombreux domaines :
Dans le Metaverse, vous pourrez faire à peu près tout ce que vous êtes capables d'imaginer - rejoindre des amis ou de la famille, travailler, apprendre, jouer, acheter, créer - mais aussi des expériences complètement nouvelles qui ne correspondent pas à notre façon actuelle d'appréhender les ordinateurs ou les téléphones.
Mark Zuckerberg
C’est donc un véritable espace de vie qu’on peut retrouver dans le Metaverse. De vie professionnelle et de vie personnelle qui s’y mêleront au sein d’une expérience immersive de réalité virtuelle à très grande échelle. Il s’agit d’un monde ouvert et permanent qui est toujours accessible et dans lequel on peut aussi bien faire du shopping pour décorer son logement virtuel qu’assister à des réunions de travail, sans oublier la possibilité de créer des œuvres d’art.
En résumé, c’est une alternative au monde réel avec la possibilité de conserver (ou de se créer) une véritable individualité en acquérant des objets rares ou uniques grâce à la technologie NFT (par exemple, des accessoires de marques de luxe pour l’avatar qui nous représente). La promesse est belle, mais cette alternative a un coût : elle nécessite d’investir dans un casque de réalité virtuelle qui pourra être complété par des capteurs tactiles afin d’optimiser les sensations d’interactions. Il faut également investir dans une monnaie virtuelle afin d’effectuer des transactions commerciales au sein du Métavers, sans parler de la nécessité de se connecter à internet grâce à la fibre afin de bénéficier de la meilleure expérience possible. Les dispositifs de réalité augmentée (dont on attend encore le lancement par les grands constructeurs) pourront aussi être utilisés pour accéder au Metaverse, en superposant des éléments virtuels à ce qui se trouve sous nos yeux.
Le terme Metaverse (ou Métavers en bon français) est apparu pour la première fois en 1992 dans le roman de science-fiction Le Samouraï Virtuel de Neal Stephenson qui est considéré comme une œuvre majeure du genre du cyberpunk. Le Metaverse imaginé par Mark Zuckerberg existe depuis 2021 (Facebook n’est pas la seule entité qui propose une solution de ce type), mais son usage par le grand public ne décolle pas. En 2023, on estime que 400 millions de personnes dans le monde accèdent à un Métavers au moins une fois par mois. Il n’y avait que 118 millions d’utilisateurs actifs en 2021, mais ce public est essentiellement lié à l’univers des jeux vidéo (le jeu Roblox regroupe à lui seul 230 millions d’utilisateurs mensuels à l’heure actuelle, et la plupart d’entre eux ont investi plus de 1 000 $ dans leur casque de réalité virtuelle + accessoires).
N'oublions pas la promesse du Web3
En 2021 également, la blockchain, qui est la technologie à la base de la frénésie des cryptomonnaies et des NFT, a engendré une autre possibilité de développement pour le web. La blockchain permet effectivement de décentraliser les informations, ce qui permettrait aux utilisateurs de reprendre le contrôle de leurs données personnelles. Dans le système actuel, les grands acteurs comme Google ou Facebook ne doivent leur modèle économique basé sur les publicités ciblées qu’au fait que nous acceptons de partager avec eux de très nombreuses données personnelles concernant nos goûts, nos habitudes, nos déplacements, etc.
Si le futur devait évoluer vers un système décentralisé permis par la technologie de la blockchain, les utilisateurs pourraient reprendre possession de leurs données personnelles de manière sécurisée via un “wallet” contenant toutes leurs informations privées. Le modèle économique du web en serait complètement bouleversé (ce qui explique pourquoi Google ou Facebook n’ont pas fait d’annonces allant dans ce sens), mais les utilisateurs auraient enfin la possibilité de visiter et de participer au web sans être traqués en permanence.
Cette promesse (qui s’autoproclame sous l’appellation de Web3) est, encore une fois, très belle, surtout pour les utilisateurs. Et on ne doute pas que les grands acteurs du web finiront fini par y trouver de nouveaux modèles économiques. Mais ce serait un trop grand bouleversement par rapport au système actuel, surtout si les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) doivent entièrement repenser leur business pour abandonner ce qui fonctionne si bien à l’heure actuelle.
Sauf que le web n'a pas choisi cette voie
Alors que l’intelligence artificielle est au cœur de toutes les actualités du web depuis fin 2022, où en sont les développements du Metaverse et du Web3 ? L’année 2022 a été très compliquée pour les géants de la tech qui constatent que les nouveaux usages qui ont commencé à se dessiner pendant la crise sanitaire débutée en 2020 ont fait long feu. Environ 150 000 employés du secteur de la tech ont perdu leur emploi fin 2022, suivis de près par plus de 160 000 personnes supplémentaires dans le monde durant le 1er trimestre 2023. L’heure est aux économies, et les technologies dont le futur est incertain sont forcément les plus impactées.
Du côté du groupe Meta (Facebook), les priorités ont changé. Après avoir investi plus de 12 milliards de dollars dans son Métavers (nommé Horizon Worlds) durant l’année 2022, Mark Zuckerberg a annoncé à ses employés dans un courrier à la mi-mars 2023 que la priorité numéro 1 dans les investissements du groupe était désormais l’intelligence artificielle. Si on regarde le verre à moitié vide, c’est un sacré aveu d’échec pour une compagnie qui a modifié son nom pour s’aligner avec ses nouveaux objectifs seulement 2 ans auparavant. Mais une vision plus positive de la même information serait de féliciter le CEO qui ne s’entête pas à investir sur un marché qui va mettre beaucoup trop de temps à devenir profitable. L’IA est à la mode en ce moment (et pourrait dégager des bénéfices à plus court terme), alors c’est là qu’il faut investir pour ne pas rester à quai lorsque le train sera parti. Rien n’indique que les recherches liées au Metaverse sont complètement stoppées, et il existe de grandes chances que les IA développées aujourd’hui feront partie intégrante du futur Metaverse.
Des chiffres précis permettent de mieux comprendre ce changement de cap. Au premier trimestre 2023, Meta a réalisé un chiffre d’affaires de 28,6 milliards de dollars. C’est supérieur au même trimestre de l’année précédente, mais le point noir ce sont les bénéfices qui, malgré un montant de 5,7 milliards de dollars, ont baissé de 24%. La division Reality Labs, qui est en charge du Metavers chez Meta, accuse à elle seule 3,99 milliards de dollars de perte sur la période. Vu comme ça, on comprend mieux ce qui a poussé Mark Zuckerberg à revoir ses priorités.
Le Metaverse est-il mort ?
Fin mars 2023, on apprenait également que Disney fermait sa division dédiée au Metaverse dans le cadre de sa campagne de licenciements de près de 7 000 personnes dans l’ensemble du groupe pour économiser 5 milliards et demi de dollars. 50 personnes ont ainsi perdu leur emploi avec effet immédiat. Est-ce que le désaveu de ces grands groupes signe la mort du Métavers ? Pas forcément, mais cette nouvelle technologie va mettre beaucoup plus de temps que prévu à devenir profitable. Les bénéfices (essentiellement issus de la publicité) du Metaverse devraient atteindre entre 50 et 80 milliards de dollars en 2023, et les projections du marché estiment que ces revenus devraient atteindre entre 500 et 1 000 milliards de dollars d’ici 2030 (en venant essentiellement du gaming et de l’e-commerce). En admettant que les analystes voient juste, il y aurait bien un futur pour le Metaverse, mais il va falloir patienter.
Il existe encore des sociétés qui investissent dans le Metaverse en 2023, comme la startup irlandaise Engage qui y a organisé un concert virtuel de Fatboy Slim au mois d’avril. L’opération a coûté 200 000 dollars à Engage, avec une équipe de 3 personnes qui a travaillé sur l’événement pendant 6 mois (ils affirment pouvoir désormais reproduire l’opération avec seulement 2 personnes en 3 ou 4 mois). Le concert aurait réuni 2 500 spectateurs virtuels, et voici à quoi cela ressemblait :
Ça ne fait pas rêver, n’est-ce pas ? Vous avez noté que les graphismes du Metaverse sont encore très éloignés des standards actuels du monde des jeux vidéo. Est-ce que le milieu de la tech ne se serait pas emballé trop vite à propos de cette nouvelle possibilité d’interaction ? C’est très possible, car 2 ans après la grande annonce de Facebook, on manque encore de perspectives concrètes pour cette technologie qui semble demander de nombreux efforts financiers pour reproduire (en moins bien) ce qu’on sait déjà très bien faire dans la vie réelle. Mais n’enterrons pas trop vite le rêve de Mark Zuckerberg. Il a peut-être des usages révolutionnaires auxquels nous n’avons pas encore songé, et le futur casque à réalité augmentée d’Apple pourrait aider le grand public à s’intéresser davantage à ce type de solution.
Où en est le Web3 ?
Seules les personnes ayant investi dans les cryptomonnaies et les NFT semblent encore croire au Web3 comme un futur plausible. De nombreux observateurs (comme Jack Dorsey, le fondateur de Twitter, et l’entrepreneur Elon Musk) considèrent que l’emballement autour du Web3 n’était qu’une mode passagère et une promesse marketing sans lendemain. Même ceux qui admettent les bénéfices d’un web décentralisé en termes de protection de la vie privée sont inquiets des conséquences néfastes que cela pourrait avoir sur l’absence de modération et la prolifération des contenus préjudiciables.
Pour l’instant, le grand public se désintéresse encore plus du Web3 que du Metaverse, et la violente chute des cours des cryptomonnaies et des NFT en 2022 n‘a rien fait pour arranger les choses. Pire encore : le désastre environnemental causé par la surconsommation électrique liée à la blockchain n’aide pas le grand public à avoir une image positive de cette technologie (le Bitcoin est toujours un gouffre énergétique, mais son concurrent Ethereum a réduit de 99% sa consommation énergétique grâce à sa mise à jour de 2022, donc des progrès sont possibles de ce côté).
Là aussi, nous ne sommes pas à l’abri de l’apparition future d’une start-up qui pourrait révolutionner notre usage du web grâce à la décentralisation des données.
Aujourd'hui, il n'y en a que pour l'IA
Depuis le lancement public de ChatGPT le 30 novembre 2022 par OpenAI (largement soutenu par Microsoft qui a annoncé investir 10 milliards de dollars dans ce modèle de langage fin janvier 2023), les intelligences artificielles génératives ont le vent en poupe et le monde de la tech ne parle que d’elles. Les espérances dans ce domaine sont actuellement aussi grandes que les nouveaux problèmes qui apparaissent avec lui (notamment en matière de droits d’auteur).
Il ne se passe pas un jour sans qu’on découvre de nouvelles applications (et de nouveaux travers) des outils de génération de textes, d’images et de code informatique qui pullulent à l’heure actuelle. Mais combien de temps va durer cette frénésie ? L’année 2023 est placée sous le signe de l’IA, c’est indéniable, mais il est difficile de savoir combien de temps ça va durer. Bien que cela paraisse difficile à croire pour l’instant, peut-être qu’une autre nouvelle technologie aura balayé l’IA dans l’imaginaire collectif d’ici 2 ans. Mais cela paraît bien improbable, car le grand public a déjà commencé à jouer avec les générateurs de textes et d’images en seulement quelques mois, là où le Metaverse et le Web3 n’ont souvent convaincu que les passionnés qui s’intéressaient déjà au sujet avant leur démocratisation.
Si ce n’est pas déjà fait, il est plus que temps de se lancer dans une séance de brainstorming pour concevoir un business model lié aux IA qui sont en train d’émerger.
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