Lorsque vous achetez un nouveau PC, Mac, smartphone ou tablette, c’est généralement l’une des toutes premières applis que vous insallez : VLC. Parce qu’elle est gratuite et qu’elle lit tous les formats vidéo, ce qui lui a permis de devenir une référence mondiale. Découvrez l’histoire qui se cache derrière ce beau projet français.
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Le point de départ de VLC, ce sont des étudiants qui veulent jouer à Doom sur leur PC
Mais leur réseau n'est pas d'assez bonne qualité
Retour dans les années 90, à Châtenay-Malabry, à 20 kilomètres au sud de Paris. On est dans les bâtiments de l’École Centrale Paris, une antenne de l’une des plus grandes et des plus anciennes écoles d’ingénieurs de France, qui est installée là depuis les années 60. Pour des raisons historiques, les bâtiments de l’école appartiennent à des anciens élèves (qui ont acheté le terrain et construit le campus à cet endroit pour éviter que l’école ne s’installe à Clermont-Ferrand), même si l’école elle-même dépend de l’Éducation Nationale.
Le bâtiment a été consrtruit par Bouygues, et le réseau informatique y a été déployé par IBM dans les années 80. C’est un réseau de type Token Ring, qui est suffisant lorsqu’on se contente de communiquer par e-mail ou qu’on utilise la norme Gopher pour partager des documents. Mais lorsque le célèbre jeu de tir à la première personne Doom sort en 1993, le réseau de l’école est insuffisant pour y jouer à plusieurs dans de bonnes conditions. En gros, les étudiants sont obligés d’y jouer très tard la nuit, quand il n’y a presque personne sur le réseau, sinon ça ne fonctionne pas correctement.
L’association d’étudiants VIA – Centrale Réseau s’adresse donc aux dirigeants de l’école afin que le réseau informatique soit amélioré, soi-disant pour leurs travaux d’étudiants. Mais les personnes à la tête de l’école ne sont pas dupes, et ils rappellent que les bâtiments ne leur appartiennent pas (sans parler de leur manque de moyens), donc ils ne peuvent donc rien faire dans ce domaine. L’un des étudiants pousse tout de même l’idée jusqu’à contacter des industriels, notamment la société Bouygues qui a construit le bâtiment. Or Bouygues est également l’actionnaire majoritaire du groupe télévisuel TF1, et s’intéresse à cette époque au lancement d’un bouquet numérique de télévision par satellite (ce sera l’offre TPS, lancée en 1996 grâce à l’association des groupes TF1, M6, France Télécom, France Télévisions, RTL Group et Lyonnaise Des Eaux).
TF1/Bouygues propose aux étudiants un défi quasi-impossible
Chez TF1, quelqu’un a une idée : si les étudiants sont capables de transformer un signal de TV numérique en l’encodant de façon assez légère pour que l’image puisse circuler sur le réseau actuel du bâtiment de l’école et être lu sur les PC qui s’y trouvent, alors Bouygues paiera un nouveau réseau pour le bâtiment. On ne se rend pas forcément compte aujourd’hui à quel point cet objectif relevait quasiment de l’impossible au milieu des années 90. Mais les étudiants relèvent le défi et Bouygues installe une antenne de TV satellite sur le toît du bâtiment.
Au bout d’un an et demi de travail, en 1996, les étudiants arrivent à produire une démo de 30 secondes (car la vidéo se bloque à partir de 40 secondes étant donné que la RAM du PC est saturée). Pari réussi ! À ce moment-là, le projet s’appelle Projet Network 2000, mais il est rapidement renommé projet VideoLAN (Video Local Area Network). Le logiciel (client) qui sert à lire les vidéos sur les PC s’appelle à l’origine le VideoLAN Client, mais son nom sera ensuite raccourci en VLC, puis transformé en VLC Media Player.
En 1998, les étudiants reprennent leur projet à zéro pour l’améliorer. Ils veulent que leur solution soit open-source, ce qui signifie que son code informatique est rendu public et que des développeurs extérieurs peuvent le récupérer pour créer leurs propres dérivés. Ils veulent également que leur projet soit cross-platform (ce qui signifiait à l’époque qu’ils voulaient surtout que ça fonctionne sur les systèmes Linux ou BeOS).
Au départ, l’école veut récupérer le projet pour le commercialiser, mais les étudiants ne sont pas d’accord. Ces derniers croient fermement à l’importance du logiciel libre et excluent toute forme de commercialisation. Ils veulent que leur solution soit disponible gratuitement et ils arrivent à leurs fins en 2001 lorsque le projet est enfin distribué en ligne sous la licence GPL (General Public Licence) chère aux amateurs du modèle de distribution initié par Richard Stallman en 1989. Au bout de quelques semaines, et grâce à cette mise en ligne du code de l’application, un internaute développe une version de VLC pour Windows (l’application d’origine ne tournait que sur Linux). Quelques temps plus tard, un étudiant permet à VLC de lire les DVD, une fonction qui va s’avérer essentielle au début des années 2000.
Le projet VideoLAN regroupait en vérité de nombreux projets, dont certains ont été abandonnés depuis longtemps. Les plus connus étaient VLC ainsi que le serveur VideoLAN Server, alias VLS (aujourd’hui, VLC intègre les fonctions de serveur autrefois proposées par VLS). L’autre projet célèbre issu de VideoLAN est la bibliothèque x264 qui permet d’encoder des vidéos en réduisant à la fois les pertes de qualité et le poids des fichiers. En plus de ses applications professionnelles, la qualité de la bibliothèque x264 a permis le remplacement progressif des anciens standards DivX et Xvid, bien moins qualitatifs et beaucoup plus lourds, qui étaient très populaires au début des années 2000 avec l’avènement du partage en ligne de films et de séries.
Comment VLC est devenu la référence du lecteur multimédia dans le monde
Au début des années 2000, c'était la galère de lire des vidéos sur un ordinateur
Ça paraît probablement très difficile à imaginer aujourd’hui, mais à la fin des années 90 et au tout début des années 2000, c’était assez compliqué de lire des vidéos sur un PC, et c’était encore pire sur Mac. Il existait plusieurs standards vidéo différents, et avant de les lire sur un PC, il fallait soit s’assurer que la vidéo était dans un format compatible avec le logiciel de lecture, soit se lancer dans la recherche et l’installation de codecs complémentaires pour maximiser les chances que le logiciel puisse lire la vidéo. Sur Mac, c’était encore plus compliqué, car il a fallu attendre quelques longues années avant de pouvoir y lire un simple DivX. Et très (trop) souvent, ça ne fonctionnait tout simplement pas ! Était-ce la faute du fichier vidéo qui était corrompu ou du codec qui n’était pas le bon ou qui n’était pas reconnu par le lecteur vidéo ? Ce n’était pas toujours facile à déterminer, et de nombreux utilisateurs téléchargeait des vidéos impossibles à lire à moins de passer des heures à chercher une solutions sur des forums spécialisés.
Puis est arrivé VLC, alias la simplicité incarnée après des années de galère ! Un simple téléchargement en ligne, une installation sur l’ordinateur, et le logiciel inclut d’office tous les codecs les plus répandus. Fini les galères d’installations de codecs, fini les vidéos illisibles (même quand le fichier est légèrement cassé), fini les plateformes privilégiées par rapport à d’autres. Que ce soit sur Windows, Linux, MacOS (et désormais iOS et Android) : c’est simple et ça fonctionne immédiatement.
En 2019, VLC a été téléchargé plus de 3 milliards de fois dans le monde, et compte plus de 500 millions d’utilisateurs.
VLC, c'est bien plus qu'un simple lecteur multimédia
On a tendance à réduire VLC à sa fonction de lecteur vidéo pour des fichiers locaux (stockés sur l’appareil), parce que c’est la fonction qu’on utilise le plus. Mais c’est loin, très loin, d’être tout ce que VLC sait faire, car l’application est un véritable couteau suisse. VLC sait aussi lire des vidéos en ligne (d’ailleurs on devrait plutôt dire que VLC sait aussi lire les fichiers locaux, car la lecture de flux vidéo en ligne était en fait la fonction première de VLC). Oui, vous l’ignorez probbalement, mais VLC est un super moyen de lire des vidéos YouTube en évitant les publicités. VLC permet également de lire les DVD, les Blu-ray et les images disques en .ISO.
D’ailleurs VLC vous permet également de télécharger facilement des vidéos YouTube sans perte de qualité. Ou de diffuser des vidéos en ligne, ou de faire des captures d’écran de vos vidéos. Sans parler du fait de convertir des vidéos dans d’autres formats, ou de les envoyer vers un Chromecast. Vous avez besoin d’enregistrer ce que vous faites sur l’écran de votre ordinateur (pour réaliser un tuto par exemple ?), ou ce que filme votre webcam, VLC le fait aussi ! Vous pouvez même ajouter un watermark sur vos propres vidéos en passant par VLC, ou regarder les chaînes de TV diffusées via la TNT grâce à VLC.
Et au fait, pourquoi l'icône de VLC est un cône de signalisation ?
Lors du lancement public de VLC en 2001, l’association d’étudiants VIA – Centrale Réseau (qui est à l’origine du projet VideoLAN) fait la fête. L’un de ses membres ramène un cône de signalisation dans les locaux de l’association, et ça va être le commencement d’une mode un peu spéciale. Au fil du temps, les étudiants ramènent tous des cônes de signalisation piqués un peu partout à l’extérieur, si bien qu’il y en a bientôt plusieurs centaines qui s’entassent dans les locaux. Les cônes deviennent les mascotes de l’association, et l’un de ses membres met l’image d’un de ces cônes au sein de l’une des premières versions de l’application VLC, sur les messages d’erreur qui précisent que le logiciel en encore en développement.
L’idée fait son chemin, et le cône finit par devenir le logo de l’application elle-même. Lors des événements en public, les étudiants, puis les membres de l’association VideoLAN (créée en 2008), revêtent régulièrement des tenues aux couleurs des cônes orangés qui sont désormais indissociables de l’application.
Pourquoi VLC n'est pas une application payante ?
Ça ne les a même pas effleurés
Comme expliqué plus haut, le modèle du logiciel libre est au coeur de l’origine de VLC. Les étudiants, et désormais l’association VideoLAN qui gère l’application, n’ont jamais eu l’intention de commercialiser VLC. À l’heure actuelle, ce sont environ un millier de bénévoles qui travaillent, sur leur temps libre, au développement et aux mises à jour de VLC.
Jean-Baptise Kempf a rejoint l’École Centrale en 2003, puis a créé l’association VideoLAN en 2008 afin de sortir le projet de l’école et lui donner de l’indépendance. Il a créé sa propre entreprise en 2012, nommée Videolabs. Avec Videolabs, il propose des solutions vidéo sur mesure destinées aux professionnels (comme YouTube, Samsung ou Free), en se basant sur les technologies développées par VideoLAN. Il existe donc bien une utilisation commerciale des technologies développées par VideoLAN, mais par le biais d’une autre société (Videolabs) qui utilise un code source disponible gratuitement, tout comme pourraient le faire de nombreuses autres sociétés. Une partie des bénéfices de l’entreprise Videolabs est reversée à l’association VideoLAN pour financer le développement de VLC.
Des membres de l’association VideoLAN ont eux aussi bénéficié du travail effectué sur les logiciels open source. Vu que c’est une véritable plus-value de mentionner sur son CV qu’on a contribué à l’association VideoLAN, certains membres de l’association ont ensuite été embauchés chez YouTube ou chez Free, sans parler de ceux qui ont monté leur propre entreprise. Jean-Baptiste Kempf a de son côté été décoré de la médaille de l’ordre national du Mérite en 2018. Il a également été directeur technique de la solution française de cloud computing Shadow entre 2020 et 2021.
VLC est une application connue dans le monde entier... y compris de la CIA qui s'en est servie pour pirater des ordinateurs
Ça avait été révélé par Wikileaks en 2017 : la CIA avait utilisé une ancienne version de VLC pour pirater des ordinateurs tournant sur Windows XP. C’est en effet l’une des conséquences possibles de la disponibilité en open source du code d’un logiciel. N’importe qui peut l’utiliser et le détourner de sa fonction première, et il existe possiblement des versions infectées de VLC en circulation sur le web. C’est pour cette raison qu’il est important de télécharger VLC uniquement sur des sites de confiance, comme sur le site officiel de l’association. Mais les équipes de Jean-Baptiste Kempf font tout de même en sorte que leur logiciel soit sécurisé, et ils apportent entre 10 000 et 15 000 modifications à leur application chaque année.
Jean-Baptiste Kempf a également révélé qu’il avait reçu des offres allant jusqu’à plusieurs dizaines de millions d’euros pour insérer des publicités ou des logiciels malveillants au sein de VLC. Ils les a systématiquement refusées.
En résumé, VLC est le produit phare d'une start-up à but non lucratif
Et c'est un positionnement rare
Jean-Baptiste Kempf est également coonu pour ses positions souvent très tranchées sur le monde de la tech et des start-ups, comme dans la vidéo ci-dessous. Mais il y a plusieurs choses qu’on ne peut pas lui reprocher : son produit est d’une telle qualité qu’il est devenu une référence mondiale, et sa vision du logiciel libre n’empêche pas d’autres société de réutiliser ses technologies pour construire un business autour. Et il existe de nombreuses applications open source dans le même cas, qui ne demandent qu’à être utilisées au sein d’un business model innovant.
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